Presse – Le Projet Beat

création “les 7 soeurs”

Les Trois Coups, Elise Ternat, 1 er avril 2009 : 
Women of the Beat 

Une salle comble accueille ce soir « le Projet Beat », dernière étape du travail mené tout au long de cette saison par la Cie Les 7 Soeurs au théâtre L’Élysée. Une enquête en forme de coup de projecteur sur toutes ces femmes à l’ombre des grands symboles de la Beat generation, mouvement libertaire essentiellement masculin des années cinquante.

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Le public pénètre tout d’abord dans une salle enfumée, qui laisse peu à peu apparaître les silhouettes de cinq femmes, dos au public. Tout commence lorsque la voix de Laure, narratrice et fil conducteur de toute la pièce se fait entendre. Cette jeune femme de notre époque nous indique les origines de son enquête qui s’apparente rapidement à une quête existentielle sur toutes celles qui ont incarné et participé à leur manière à cette mouvance intellectuelle des années cinquante que fut la Beat Generation.

Un à un, les portraits sont montrés puis décrits : Carolyn Cassady pour commencer, peintre et épouse de Neal Cassady, puis Joyce Johnson compagne de Kerouac, Luanne Henderson, Elise Cowen éprise d’Allen Ginsberg ou encore Joanne Vollmer, épouse de William Burroughs. Autant de destins uniques et croisés dont certains tragiques, ici incarnés par cinq comédiennes qui font vivre au public des véritables morceaux de vie. Loin de se limiter à une succession de biographies, le Projet Beat est la mise en relief de questionnements propres à une époque. Ces cinq individualités nous font part à leur manière et avec beaucoup de finesse de leurs réflexions, états d’âmes relatifs à leur statut de femmes : muses, amies et maîtresses, lolitas, femmes au foyer, femmes artistes, femmes d’artiste, échangeables… Autant de sujets d’une remarquable actualité comme le laisse comprendre le perpétuel va-et-vient opéré entre notre époque et les années cinquante.

À l’instar d’une fouille archéologique, le méticuleux travail d’investigation ici entrepris nous apporte une vision des plus pertinentes sur cette époque marquée par l’affirmation d’une soif d’émancipation et de liberté. L’éclairage choisi par Laure Giappiconi apporte un véritable contrepoids aux clichés et permet d’affiner le regard porté sur une époque que l’on pourrait trop rapidement résumer à la plume de Kerouac ou Burroughs.

Au-delà de l’enquête, on apprécie le rythme dynamique composé notamment de passages dansés, drôles et ultra féminins, avec pour commencer l’énergique I ‘ m So Excited , reprise du groupe Le Tigre . Les robes à fleur sont au rendez-vous et les poses lascives aussi. L’écran en fond de scène trouve tout son intérêt dans les divers usages qui en sont faits : des visages y sont tout d’abord projetés, pour laisser place dans un second temps aux apparitions de dates et de noms donnant un caractère biographique à l’ensemble. Enfin, on peut y lire l’inscription clignotante «  Pacific Dining Car », qui renvoie à l’esthétique des cafétérias américaines des années cinquante.

Concernant le jeu, on peut saluer l’ardeur des cinq comédiennes, qui font preuve d’une véritable vitalité en affirmant avec singularité chacun des portraits incarnés. Parmi elles, on reconnaît Estelle Clément Bealem dans le rôle tragique d’Elise Cowen, Laure Giappiconi dans le rôle de la narratrice, déjà aperçues dans le fameux Réalisme mis en scène par Catherine Hargreaves, reconnaissable elle aussi sous les traits de Carolyn Cassady.

Véritable réussite, le Projet Beat est le fruit d’une enquête passionnée qui a su dresser avec justesse et respect ces cinq tableaux. La thématique, les questionnements sous-jacents, les choix d’écriture ainsi que le rythme donnent lieu à un remarquable moment de théâtre, témoignant une nouvelle fois de la qualité du travail mené par la Compagnie Les 7 Soeurs, que l’on retrouvera la saison prochaine à L’Élysée.

 

Mail envoyé le 24 mars 2009 par Nadja Pobel, critique au Petit Bulletin :

Bonjour,
Je voulais vous dire que je suis allée voir votre pièce hier lors de la première. Vous avez bien fait d’attirer à nouveau mon attention sur cette création la semaine dernière par téléphone.
Et puisque, comme je vous l’ai dit, la série de représentations est trop courte pour que j’en parle dans Le Petit Bulletin, je tenais à vous dire par mail que j’ai beaucoup aimé votre travail. Le début est tonitruant avec cette mise à nu de votre personnage de Laure, femme d’aujourd’hui et la présentation extrêmement claire des femmes d’écrivains de la beat génération. A aucun moment, vous ne perdez le spectateur en route. L’atmosphère de brume contribue à être avec vous dans l’univers que vous proposez (même si c’est moyennement compatible avec un début de grippe, ça pique la  gorge !!). J’aurais peut-être parfois apprécié que les moments de transitions musicales soient plus nombreux mais en tout cas, avec une scénographie simple, vous parvenez à donner une place à chaque personnage et surtout à faire en sorte qu’ils ne soient pas bras ballants lorsqu’ils n’interviennent pas. C’est souvent très difficile d’occuper l’espace lorsqu’on n’a pas de texte à dire. Ici, on ne ressent pas de moments creux. Le panneau lumineux de fond de scène fonctionne très bien.

Loin des mastodontes et énièmes reprises de Tchékhov, Molière ou Shakespeare (qui sont parfois très bien !), et loin aussi des spectacles bancaux et “pas fini”, le vôtre a le mérite d’être impeccable, narratif – bien que succession d’innombrables séquences – et vraiment travaillé.
Je tenais à vous le dire.

En espérant vous rencontrer prochainement et en espérant surtout que ce spectacle sera repris quelque part bientôt,

Bien cordialement,

Nadja Pobel

LE PETIT BULLETIN